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Anna Touati

Vouloir nuancer sa pensée, est-ce toujours une bonne idée ? Partie 1

Parce qu’en philosophie on s'efforce de penser la complexité du réel au-delà des évidences, qu’on apprend à se méfier des idées simplistes et dogmatiques, on veille à penser avec nuance.


Cela est d’autant plus salutaire à une époque où la plupart des débats se polarisent et où il devient parfois difficile de faire entendre un jugement qui n’entre pas dans une logique binaire.


Toutefois, se mettre en tête qu’il faudrait toujours être nuancé dans ses idées peut poser problème.


En atelier de philosophie lorsque l’animateur pose une question fermée (qui appelle une réponse tranchée entre deux alternatives comme « oui » ou « non ») il arrive fréquemment que certains participants refusent de prendre position par principe et exigent de pouvoir donner une réponse nuancée.


Pourtant, dans certains contextes la quête de la nuance entrave la pensée et il s’avère au contraire plus pertinent de s’astreindre à produire une réponse tranchée.


Comment expliquer cette résistance à prendre position chez de nombreux participants ?


La crainte de la simplification


Le concept de « binarité » a une connotation souvent péjorative aujourd’hui. On l’associe à une pensée réductrice et simpliste. Devoir prendre position dans un choix binaire nous fait craindre de trahir la complexité du réel ou de nos propres idées.


La crainte du dogmatisme


En produisant une réponse tranchée on craint de s’enfermer dans un point de vue unique, de ne pas incarner l'ouverture d’esprit censée caractérisée l’attitude philosophique.


La crainte de l’engagement


Nous avons parfois tendance à nuancer nos propos pour indiquer aux autres qu’on ne s’engage pas pleinement dans ce qu’on affirme. Car en prenant position on s’engage à rendre compte de notre choix or on peut craindre de se tromper, de ne plus avoir la possibilité de changer d’avis ou encore de ne pas être fidèle à ce qu’on pense vraiment.


La crainte de la manipulation


L’animateur exerce sur le participant une contrainte en l’obligeant à faire un choix. Le participant peut craindre d’être manipulé parce qu’il n’a pas choisi de devoir choisir ! Il a le sentiment d’être forcé d’obéir à une contrainte arbitraire décidée par l’animateur.


La crainte de la finitude


Choisir implique de renoncer. Or, pour certains, l’acte même de choisir leur pose problème de façon générale, dans l'existence, et pas uniquement dans un atelier de philosophie parce qu'ils ont du mal à faire le deuil de l’illimité, à accepter leur finitude. Alors, même s'ils conçoivent qu'un choix infini est impossible, ils ne cessent pas pour autant de le désirer...

Georgia O’Keeffe, Blue and Green Music, 1919/21



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